Silicon Valley Bank, la chronique des événements
2020-2021 : les dépôts de la clientèle affluent, dopés par les stimuli de liquidité injectés par l’Etat durant l’ère Covid (triplement des dépôts à 180 Mds $), attirés par la meilleure rémunération de SVB en cette période de taux d’intérêts bas. SVB investit ces dépôts essentiellement dans des titres longs de bonne qualité.
2022 : Des retraits importants commencent dès 2022 avec le retournement de conjoncture pour sa clientèle issue du capital risque (technologies, santé).
8/3/2023 : la banque californienne Silvergate bank, très exposée aux cryptomonnaies annonce sa liquidation
Nuit du 8/3 : la banque californienne Silicon Valley Bank annonce une émission de capital de 2,25 Mds $. Elle est justifiée par la vente de ses 21 Mds $ de titres disponibles à la vente (« AFS ») qui lui a occasionné une perte de 1,8 Mds $. La dépréciation de ce portefeuille figurait déjà dans les comptes du 31/12/2022, publiés le 24/02/2023, en note de bas de page 49 du rapport annuel « Form 10K »)
9/3 : les clients de SVB ont retiré 42 Mds $ au cours de la journée, soit 25% des 169 Mds des dépôts clientèle présents au 28/02. La banque se retrouve à découvert de 1 Md $.
10/3 : le superviseur californien DFPI annonce la mise sous tutelle de SVB pour raisons d’insolvabilité et illiquidité. La banque aura vécu 40 ans.
Un swipe-crash
Le crash de SVB est qualifié de premier swipe crash de l’histoire.
La concentration de la clientèle dans la technologie californienne, dépendant en particulier de quelques fonds de capital risque ayant enjoint leurs participations à retirer leur argent a, selon la presse américaine, pesé fortement sur le mouvement massif de retrait.
L’illiquidité de SVB est évidente. La DPFI relève dans son communiqué l’incapacité de SVB à trouver des refinancements sécurisés mais également son insolvabilité. En effet, la deuxième couche de liquidité de SVB est constituée de titres similaires à ceux du portefeuille disponible à la vente, mais destinés à une détention jusqu’à leur terme (« HTM »). Ce portefeuille montre des moins-values latentes de 15 Mds $ au 31/12 (p. 125 du Form 10K) qui viendraient consommer la quasi-totalité des fonds propres prudentiels (18,4 Mds $ au 31/12).
SVB a donc fait faillite sous un impact croisé taux d’intérêt et liquidité. Et l’instantanéité du choc subi a empêché toute réaction ordonnée de la banque.
Le risque de taux d’intérêt
Une norme du comité de Bâle sur le risque de taux d’intérêt du portefeuille bancaire exige que la perte de valeur économique (« EVE ») du bilan de la banque suite à une hausse des taux d’intérêt de 200 pbs (2%) reste inférieure à 15% de ses fonds propres CET1. Cela correspond à 2 Mds $ dans le cas de SVB qui n’y est cependant pas assujetti.
Le rapport 10K nous renseigne en page 90 qu’une hausse de 200 pbs entraînerait une amélioration de sa marge nette d’intérêt de 3,5% au 31/12. D’où l’on peut extrapoler que SVB anticipait probablement qu’une chute de valorisation de ses actifs à taux fixe avec la hausse des taux serait largement compensée par une hausse modérée de ses coûts de refinancement, largement conditionnés par les dépôts de sa clientèle d’entreprises – et dont 110 Mds $ sur 175 (63%) ne donnaient pas lieu à intérêts au 31/12.
On peut aussi examiner ce qu’on ne lit plus entre le rapport 10K de 2021 et celui de 2022. Le rapport 2021 indiquait clairement qu’une hausse des taux de 200 pbs mènerait à 28% de chute de l’EVE de la banque ou 5,7 Mds $ de pertes. L’absence de cet indicateur dans le rapport de fin 2021 peut laisser penser à une occultation des difficultés financières par les dirigeants de SVB.
Or les taux d’intérêt ont monté en un an non pas de 200 pbs mais de plus de 400, une hausse inédite depuis plus 40 ans – l’âge de SVB !
Les années 1980 nous ramènent à la célèbre crise des savings and loans, banques régionales américaines dont plusieurs ont fait faillite lors du précédent cycle de forte hausse des taux d’intérêt américains pour lutter contre l’inflation. Ces banques s’appuyaient beaucoup sur des ressources provenant des dépôts de la clientèle de détail, beaucoup plus stables. Ces faillites se sont donc enclenchées par attrition, puisqu’avec la durée – et avec à l’actif pléthore de crédits immobiliers de très long terme avec des taux d’intérêt devenus désormais trop bas par rapport aux possibilités de refinancement aux nouvelles conditions de marché – les pertes se sont accumulées jusqu’à rendre nombre de ces banques insolvables.
Ce scénario risque de se reproduire aujourd’hui, mais n’est pas celui qui a fait tomber si brutalement SVB.
Le risque de liquidité
SVB précise dans sa Form 10K que la banque se situait dans la catégorie la plus basse des exigences réglementaires bancaires, catégorie IV, et en outre sous le seuil des 50 Mds $ de refinancement de gros pondéré de court-terme (« weighted short-term wholesale funding ») qui la dispensait des calculs de ratios de liquidité réglementaires de court et long-terme (LCR et NSFR).
Qu’aurait révélé le calcul de ces ratios ?
L’essentiel des dépôts de SVB montrerait selon ces normes prudentielles un taux de fuite de 40% à 30 jours (norme LCR, hormis la part garantie de 250 k$ à chaque déposant par l’Etat à travers la FDIC où ce taux est ramené à 20%, mais cette part garantie représenterait 6% des dépôts de SVB), ou de 50% à un an (norme NSFR).
Rapporté à 175 Mds $ de dépôts essentiellement d’entreprises au 31/12, on parle donc d’une évaporation considérable.
Mais en face existait au 31/12, en plus de 13,8 Mds $ de cash et cash équivalents, un portefeuille de 117 Mds $ de titres liquides de haute qualité « LHQ » (ou 102 Mds $ en valeur de marché). Pour être très technique (norme LCR) :
• l’approche prudentielle disqualifie de ce portefeuille 13 Mds nets de CMBS
• sur les 64 Mds nets de RMBS pondérés pour une valeur de 48 Mds $ (après décote de 25%), la norme LCR n’admet que 40% au plus d’actifs de la sorte dans le total des actifs LHQ)
si bien que les ALHQ « prudentiels » s’élèvent à 72 Mds $, insuffisants alors pour pallier à l’évaporation des dépôts en scénario de crise – au moins en approche NSFR.
Au-delà de ce constat, virtuel puisque les LCR et NSFR ne s’appliquaient pas à SVB, si SVB avait investi dans une plus grande part de bons du Trésor américain en lieu et place des CMBS et de RMBS, ces ratios auraient pu être adéquats.
Une approche classique en impasse de liquidité aurait dû davantage alerter. Le portefeuille HTM, prépondérant parmi les ALHQ, présentait une duration de 6,2 ans (3,6 ans pour le portefeuille AFS). Or en face, côté passif, l’essentiel provient de dépôts clientèle non seulement volatils à court terme, mais dont la persistance au-delà de quelques années paraît contestable.
SVB restait dans tous les cas dans une situation insatisfaisante pour pallier à la crise qui a affecté la banque du fait de sa trop grosse exposition à la remontée des taux. C’est bien le couplage taux liquidité sans gestion pilotée du bilan qui a coulé la banque.
Une approche – ou une norme – comptable non satisfaisante qui laissait persister l’illusion de solvabilité
Nous avons montré que la structure de bilan de SVB nécessitait probablement de mobiliser l’ensemble des titres LHQ en cas de secousse.
Or la page 125 du rapport 10K nous montre que SVB disposait de 26 Mds $ de titres AFS au 31/12 (entièrement consommés le 8/3) et 91 Mds $ de titres HTM (ou 76 Mds nets).
Une bonne pratique consiste à considérer que le coussin de liquidité dont nous avons discuté du dimensionnement à la section risque de liquidité précédente doit être entièrement catégorisée en AFS – et dès lors aussi entièrement à la juste valeur plutôt qu’en coût amorti (qui fait apparaître des moins-values latentes sans impacter le compte de résultat et donc les fonds propres).
Aussi il apparaît que la première défaillance de la banque a consisté à largement sous-dimensionner son coussin de liquidité au regard d’une base de dépôt hautement volatile, et ce d’autant plus que la clientèle était très concentrée (la tech californienne avec une forte concentration d’actionnaires communs), et le refinancement de la banque précisément fondé essentiellement sur cette base de dépôts. L’ensemble des titres aurait dû être classé AFS.
Au 31/12/2022, SVB disposait d’un ratio de solvabilité de 14,7%, au-delà des 10,5% requis – ou encore un excédent de fonds propres prudentiels de 4,8 Mds $.
La perte latente sur titres HTM passe de 1,3 Mds $ fin 2021 – époque où SVB a d’ailleurs fait opportunément basculer près de 9 Mds $ de titres AFS en catégorie HTM – à 7,1 Mds $ fin T1 2022 (voir form 10-Q correspondante). Ainsi, dès mars 2022, SVB devenait insolvable si la catégorisation comptable avait été pratiquée de manière adéquate (passage de coût amorti avec pertes latentes à la juste valeur de marché).
Rappelons que ce mur d’insolvabilité était prédit dès fin 2021 par le calcul de choc sur EVE et que SVB aurait dû réagir dès la période pourtant encore euphorique de 2021 sur la base d’un tel signal. L’accident était déjà inscrit il y a 15 mois !
Une réglementation américaine des banques contre productive
La page 12 du rapport 10K 2022 explicite l’appartenance de SVB à la catégorie des banques les moins encadrées prudentiellement (pas de LCR ni NSFR par exemple), ceci aidé par le relâchement des Tailoring Rules adoptées en 2019.
SVB présentait fin 2022 la bagatelle de 212 Mds $ d’actif, pas si loin du PNB du Portugal, et la plaçant au 16ème rang des banques américaines par sa taille de bilan.
Le calcul d’EVE sous choc montrait dès fin 2021 une situation préoccupante au regard des normes bâloises, mais n’a pas constitué de signal d’alerte ni pour la banque ni pour ses autorités de supervision.
Remarquons un point d’évolution positive de la réglementation américaine : les Etats-Unis ont adopté la norme bâloise du TLAC qui déploie, pour faire simple, des exigences de coussins de dette permettant à des créanciers d’encaisser les pertes avant les déposants que cherche à préserver l’Etat. L’avenir dira si le pari de Biden du 13/3 de déposants SVB remboursés intégralement sans dépense de la part de l’Etat est tenu.
Des agences de notation restées aveugles
Jusqu’au 8/3, Moody’s notait la holding SVB Financial à A3, puis Baa1 après l’annonce de levée de capital de SVB (équivalents S&P de A- puis BBB+) ce qui reste très honorable. SVB Financial est l’actionnaire exclusif de SVB dont la banque constitue le principal actif.
S&P dégradait SVB Financial également d’un cran à BBB- le 9/3, à la frontière des crédits non spéculatifs.
Une politique de banques centrales occidentales contestée
First Republic, banque californienne et 14ème du pays par la taille de son bilan est attaquée. Et on comprend bien que la forte hausse des taux enregistrée, peut-être encore à venir, laisse ressurgir le spectre de la crise des savings and loans des années 1980.
Le mandat premier de la FED de lutter contre l’inflation doit-elle autoriser des hausses fortes et rapides au détriment de la stabilité systémique des banques ?
Taux de prêt marginal de la BCEAO depuis fin 2016
J’observe que dans les pays émergents, les banques centrales appuient beaucoup plus modérément sur les leviers des taux de refinancement. Par exemple, la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest a infléchi son taux directeur de 50 pbs en 2020, début de période Covid, pour le relever fin 2022 25 pbs au-dessus de son niveau pré Covid.
Les banques de la région UEMOA où siège la BCEAO ont donc leur bilan peu déstabilisé. Elles retransmettent bien ces signaux de taux à l’économie par le canal du crédit.
Comparaison n’est pourtant pas raison puisque l’UEMOA a son panier inflation composé à plus de 40% de produits alimentaires, et avec une forte part de produits importés dans l’économie régionale sur lesquels les variations de taux ont bien peu d’emprise. Mais on entend des réflexions contestant à tout le moins l’ascension pour le moment ininterrompue et rapide des taux BCE vers « le » taux d’inflation de l’UE. Et il en est de même pour la FED américaine.
La nouvelle orientation non orthodoxe de la FED annoncée le dimanche 12/3 d’effacer la dépréciation liée à la hausse des taux d’intérêt, des portefeuilles obligataires des banques qui viendraient frapper à son guichet n’émet (« Bank Term Funding Program ») peut-être pas non plus le bon signal pour l’assainissement du bilan des banques américaines.
Sources principales
ORDER TAKING POSSESSION OF PROPERTY AND BUSINESS (ca.gov) : communiqué du superviseur californien du 10/3 sur la faillite de SVB et sa mise sous tutelle.
Site Home | Silicon Valley Bank (svb.com) : communiqués, rapports financiers et réglementaires de SVB
Silicon Valley Bank failure (jpmorgan.com) : analyse de la chute de la SVB et comparaison à ses pairs
Interest rate risk in the banking book (bis.org) : normes du comité de Bâle sur le risque de taux d’intérêt du portefeuille bancaire
The Fed’s Discount Window Lending – Bank Policy Institute (bpi.com)